Publié le 15 décembre 2025 Mis à jour le 15 décembre 2025

Au sud-est de l’océan Pacifique, les événements climatiques liés à El Niño permettent d’étendre provisoirement la zone habitable des espèces marines profondes. Seulement, ce bénéfice pourrait disparaître avec le changement climatique d’ici la fin du siècle. C’est le résultat d’une étude menée par des scientifiques internationaux, impliquant le Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS, CNES/CNRS/IRD/Université de Toulouse), publiée en juillet dans la revue Scientific reports.

La survie des espèces marines dépend étroitement de deux paramètres environnementaux : la température de l'eau et la quantité d'oxygène dissous disponible. Ces deux facteurs définissent ensemble les régions océaniques habitables pour chaque espèce. Le Pacifique sud-est est l'une des zones les plus désoxygénées au monde – on l’appelle zone hypoxique. Elle subit de fortes variations liées à l'Oscillation australe El Niño (ENSO), le phénomène climatique naturel le plus important de la planète.

Tous les 2 à 7 ans, les événements El Niño réchauffent considérablement les eaux de surface de l'océan Pacifique oriental. Parallèlement, ces événements modifient les courants marins et influencent l'apport d'oxygène dissous dans les masses d'eau, y compris en profondeur. « Jusqu'à présent, l'impact combiné de ces changements de température et d'oxygène sur les écosystèmes marins restait largement inexploré », explique Alexandra Parouffe, qui a soutenu sa thèse sur ce sujet au sein du LEGOS. « Le manque d'observations et nos connaissances limitées sur la physiologie de nombreuses espèces marines rendent cette question difficile à aborder. »

Face à cette lacune, les scientifiques du LEGOS et leurs collaborateurs ont utilisé une approche par modélisation pour déterminer si les conditions environnementales se maintiennent au-dessus des seuils de tolérance des différentes espèces. Leur étude s'est concentrée sur la région située au large du Pérou et du Chili, zone à forte productivité biologique et biodiversité, mais aussi l'une des plus hypoxiques.

L'analyse d'un ensemble de simulations climatiques révèle un constat nuancé : dans le climat actuel, les événements chauds El Niño augmentent effectivement l'habitat disponible pour les espèces marines, mais de manière très inégale selon leur profondeur de vie.
 

Les espèces vivant en profondeur bénéficient considérablement de l'apport supplémentaire d'oxygène, précise Alexandra Parouffe. En revanche, pour les espèces de surface, l'augmentation de la température est si importante que l'effet positif de l'oxygénation ne suffit plus à compenser l'augmentation de leurs besoins métaboliques. Leur habitat peut même se réduire.


À l'inverse, les événements froids La Niña, associés à des conditions moins oxygénées, diminuent l'habitat disponible, bien que dans des proportions moindres que les effets des événements El Niño extrêmes.

Plus préoccupant encore : les projections pour la fin du XXIᵉ siècle suggèrent que les effets globalement positifs d'El Niño ne pourront plus compenser la perte d'habitat induite à long terme par le réchauffement climatique. Ce phénomène touchera principalement les espèces de surface – les moins tolérantes à l'hypoxie – mais également, dans une moindre mesure, les espèces profondes.

Ces résultats soulignent l'importance cruciale de prendre en compte conjointement les dynamiques de réchauffement et de désoxygénation, à différentes échelles temporelles, pour mieux anticiper leurs impacts sur les écosystèmes marins. Ils constituent également un apport précieux pour orienter la conception des aires marines protégées dans ces régions vulnérables.
 
Références :
ENSO modulates aerobic habitat across varying hypoxia tolerance levels in the Southeast Pacific throughout the twenty-first century
A. Parouffe, B. Dewitte, A. Paulmier & V. Garçon 
Scientific Reports, juillet 2025

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