Publié le 13 mai 2025 Mis à jour le 16 mai 2025

Le cheval trouve son origine en Amérique du Nord, il y a environ quatre millions d’années. La baisse du niveau de la mer ayant créé des ponts terrestres entre les continents, il a pu se rendre jusqu’en Eurasie. Une équipe internationale de 57 chercheuses et chercheurs – dont 18 scientifiques autochtones des Nations Lakota, sqilxʷ (suknaqin/ Okanagan), Blackfoot, Dene’ (Athabascan) et Iñupiaq – révèle que de nombreux échanges intercontinentaux de population équine se sont produits. Ces migrations à double sens avaient encore lieu pendant la dernière période glaciaire, il y a entre 50 000 et 19 000 ans. En combinant des analyses génétiques et géochimiques de pointe sur des fossiles de chevaux avec des systèmes traditionnels de savoir scientifique autochtones, cette étude internationale dévoile les effets des changements climatiques sur les espèces de méga-herbivores durant le Pléistocène supérieur. L’étude, qui fait la couverture de Science le 15 mai, a été menée par des scientifiques du Centre d’anthropobiologie et de génomique de Toulouse (CAGT – CNRS/Université de Toulouse). Elle souligne l’importance de maintenir des corridors écologiques pour conserver la biodiversité et les formes de vie associées.

Le rôle du cheval


Les chevaux occupent une place importante dans la vision du monde et les systèmes scientifiques de nombreux peuples autochtones à travers le globe. Leur comportement, leurs rôles écologiques et leur capacité à s’adapter et à parcourir de longues distances ont offert d’importants enseignements aux communautés autochtones qui ont veillé sur de vastes territoires des Amériques depuis plus de 20 000 ans. « Nous considérons la Nation du Cheval comme une espèce essentielle qui, conjointement avec les autres formes de vie avec lesquelles elle interagit, apporte un équilibre à l’écosystème », déclare le chef Harold Left Heron, scientifique Lakota, et gardien du savoir traditionnel de la Nation Lakota1. « Dans le cadre de cette étude, plusieurs systèmes scientifiques se sont unis dans le respect mutuel afin d’apporter des connaissances essentielles, que chacun de nous peut aujourd’hui appliquer dans sa propre communauté, partout dans le monde, afin de préserver toute forme de vie. »2

Le sentier du Guérisseur


Les savoirs traditionnels Dene’ (Athabascan) font référence au sentier du Guérisseur, un corridor vital ayant relié l’Amérique et l’Eurasie pendant des milliers d’années. Le long de cette piste, les chevaux, comme tous les autres êtres vivants, circulaient librement, se mélangeaient, contribuaient aux systèmes naturels qui façonnaient leur parcours, les renforçaient et en tiraient des leçons. « Ce savoir se reflète dans nos chants, nos récits, notre science et nos modes de vie. Chanter le chant de la vie garantit l’équilibre du monde et permet à la vie de se diversifier et de continuer de manière harmonieuse »3, ajoute Wilson Justin, Aîné Dene’ (Athabascan) du haut ahtna/haut tanana et gardien du savoir du clan Alth’setnay.
 
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Légende - Chevaux sauvages galopant en liberté au Black Hills Wild Horse Sanctuary, en Caroline du Sud, aux Etats-Unis. Crédit : Black Hills Wild Horse Sanctuary.

Recherche génomique


De nos jours, les sols gelés de l’Alaska, du Yukon et de la Sibérie conservent de remarquables ossements fossilisés de méga-herbivores anciens, dont des chevaux. « L’ADN se conserve mieux dans un milieu froid », explique Ludovic Orlando, directeur du Centre d’anthropobiologie et de génomique de Toulouse, un centre de recherche pluridisciplinaire soutenu par le CNRS et l’Université de Toulouse. « Dans cette étude, nous avons tiré le maximum de la dernière génération d’instruments de séquençage de l’ADN et des principes scientifiques des Lakotas sur la génomique afin de mettre au jour toute la diversité de lignées de chevaux ayant existé en Amérique durant le Pléistocène supérieur », ajoute-t-il.

Pendant près de 15 ans, son équipe a séquencé des génomes de chevaux vieux de quelques siècles à près d’un million d’années. Leurs études antérieures ont mis en lumière le foyer de la domestication des chevaux ainsi que l’histoire de leurs migrations à travers le monde avec les sociétés humaines. Pour cette nouvelle étude, les chercheurs ont séquencé les génomes de 68 spécimens de chevaux d’Amérique et d’Eurasie datant du Pléistocène supérieur (entre 126 000 à 11 700 ans avant notre ère). L’équipe de recherche comprend des spécialistes représentant les territoires dont proviennent les échantillons, et explore en profondeur les migrations intercontinentales de chevaux en mettant l’accent sur la période du dernier maximum glaciaire, il y a 26 000 à 19 000 ans.

Les chevaux connectent les continents


« Selon notre étude, rien qu’en Amérique du Nord, on trouvait une lignée de chevaux distincte au sud des calottes glaciaires, une autre dans l’ensemble de l’Alaska et du Yukon, et une troisième à la bordure ouest de l’Alaska »4, explique Yvette Running Horse Collin, scientifique Lakota et directrice de Taku Skan Skan Wasakliyapi: Global Institute for Traditional Science (GIFTS), qui a mené les travaux de séquençage génomique de cette étude et a veillé à ce que tous les protocoles scientifiques autochtones soient appliqués et respectés. « De ce fait, les habitudes migratoires naturelles de nos parents de la Nation du Cheval montrent clairement que les frontières contemporaines entre les pays et les dénominations paléontologiques qui les accompagnent ne reflètent pas fidèlement ce que le cheval faisait vraiment. »
 
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Légende - Yvette Running Horse Collin forant des échantillons d'étude de recherche. Crédit : Jacquelyn Cordova.

Les origines génétiques de la troisième lignée de chevaux d’Amérique du Nord mentionnée plus haut trouveraient leurs racines en Eurasie. Elle représente la migration équine la plus orientale d’une lignée originaire des monts Oural, qui s’est étendue dans tout l’Arctique et a pu pénétrer en Amérique du Nord lorsque le niveau de la mer a baissé et que les masses terrestres de la Sibérie et de l’Alaska se sont connectées. L’étude montre que ce pont terrestre a été franchi d’ouest en est à de nombreuses reprises par les chevaux entre 50 000 et 19 000 ans de cela. Curieusement, elle révèle aussi que les chevaux l’ont traversé en sens inverse à des périodes antérieures, longeant le Pacifique vers le sud et jusqu’au nord-est de la Chine, et laissant des traces génétiques durables loin à l’ouest, jusqu’en Anatolie et dans la péninsule Ibérique.

L’équipe a également étudié la population équine ayant vécu au Yukon durant la période de réchauffement post-glaciaire, alors que la fonte des calottes glaciaires chamboulait les conditions ambiantes. « Ces chevaux vivaient dans le corridor libre de glace à un moment où la steppe et la toundra laissaient place à un écosystème bien plus humide », explique Clément Bataille, professeur à l’Université d’Ottawa, qui a coordonné les analyses isotopiques du carbone et de l’azote. Ce changement, qui s’est révélé moins favorable aux populations équines et aux écosystèmes dont ils dépendaient, a mené à un important déclin démographique.

Conclusions et perspectives


Jane Stelkia est une Aînée de la Nation sqilxʷ (suknaqin/Okanagan) et vit sur les terres ancestrales de son peuple au Canada. Gardienne du savoir traditionnel lié à Snklc’askaxa (la Nation du Cheval), elle confirme l’expérience de ses ancêtres sur le sentier du Guérisseur ainsi que leur capacité à surmonter de grands obstacles environnementaux et historiques aux côtés du cheval. « Dans cette étude, Snklc’askaxa nous offre un remède en nous rappelant la voie qu’empruntent toutes les formes de vie pour survivre et prospérer au fil des migrations et des changements »6, évoque-t-elle. « Il est temps de nous rassembler à nouveau pour aider la vie à trouver les passages et les seuils à franchir pour se déplacer sans danger. »7

Les conclusions de l’étude soulignent l’importance de maintenir des corridors écologiques qui favorisent le déplacement continu entre les habitats. De telles voies apparaissent essentielles pour préserver la biodiversité de la mégafaune et des formes de vie qui leur sont liées – pas seulement dans l’Arctique en plein réchauffement, mais dans le monde entier – en ces temps de grave crise mondiale de la biodiversité.
 
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Légende - Jane (qwyxnmitkw) Stelkia portant un crâne de celui que les Okanagan appelent Snklc’askaxa, le cheval. Crédit : Little Pine Productions.

Une étude scientifique de long terme


« Nous avons mené cette étude avec nos alliés d’autres Nations pour montrer au monde à quel point les déplacements sont essentiels au maintien de la vie »8, déclare le chef Joe American Horse, leader traditionnel et gardien du savoir de la Nation Lakota. Il fait référence au concept scientifique Lakota de “yutaŋ’kil”, présenté par le chef Left Heron dans cet article pour aider la communauté de la biologie de la conservation à comprendre les comportements du vivant lorsque des grands changements environnementaux surviennent. « Ce concept signifie que la vie ne se déplace jamais seule, elle suit son écosystème – la vie doit se déplacer pour survivre et prospérer. Nous appliquons les conclusions de cet article à He’Sapa – nos Black Hills sacrées – en partenariat avec de nombreuses institutions scientifiques de renommée, sous l’égide du Black Hills Wild Horse Sanctuary. »9

 
1. Les citations sont ici traduites en français. Elles sont reproduites sous leur forme originale, en anglais, en signe de respect envers les gardiens de savoirs autochtones : « We understand the Horse Nation to be a keystone species that, together with the other life forms with which it shares relationality, brings balance to the ecosystem. »

2. « Multiple scientific systems respectfully joined together in this study to offer critical knowledge that can be applied by each of us today in our respective communities around the world to preserve all life. »

3. « This knowledge is held in our songs, stories and in the sciences and lifeways we carry. Singing the song of life ensures that the world is balanced and life can diversify and continue in a good way. »

4. « Our work shows that, in North America alone, there was one distinct horse lineage south of the ice sheets, another across Alaska and the Yukon—and even a third at the westernmost edge of Alaska. »

5. « However, the natural migration patterns of our Horse Nation relatives show us clearly that today’s geographic country boundaries and accompanying paleontological labels do not accurately define or capture the actual experience of the horse. »

6. « In this study, Snklc’askaxa is offering us medicine by reminding us of the path all life takes together to survive and thrive as life moves and changes. »

7. « It is time that we come together, again, to help life find the openings and points to cross and move safely. »

8. « We did this study with our allies from other Nations in order to show the world the importance of movement in sustaining life. »

9. « This concept means that life never moves alone, but follows its ecosystem – life must move to survive. We are implementing the findings of this paper in He’Sapa, our sacred Black Hills in conjunction with many leading scientific institutions, headquartered from the Black Hills Wild Horse Sanctuary. »
 
Référence :
Sustainability insights from Late Pleistocene climate change and horse migration patterns 
Yvette Running Horse Collin (Tašunke Iyanke Wiŋ), Clément P. Bataille, Samantha Hershauer, Mila Hunska Tašunke Icu (Chief Joe American Horse), (Akil Nujipi) Chief Harold Left Heron, Wilson Justin, Jane (qwyxnmitkw) Stelkiaz, C’wyelx (Thomas Pierre), James Aaron Stelkia, Sean Asikłuk Topkok, Beth Ginondidoy Leonard, Beatle (Naatoonistaahs) Soop, Mario Gonzalez (Nantan Hinapan), Anpetu Luta Wiŋ (Antonia Loretta Afraid of Bear-Cook), Wakiŋyala Wiŋ (Anita Afraid of Bear), Tanka Omniya (Robert Milo Yellow Hair), Barbara Dull Knife (Mah’piya Keyaké Wiŋ), Mažasu (Wendell W. Yellow Bull), Bill Means, Cruz Tecumseh Collin (Wanka’tuya Kiya), Michael Koskey, Joshua D Kapp, Zoe Landry, Danielle Fraser, John Southon, Eve E. Lindroos, Auguste Hassler, Lorelei Chauvey, Gaetan Tressières, Laure Tonasso-Calvière, Stéphanie Schiavinato, Andaine Seguin-Orlando, Aude Perdereau, Pedro H. Oliveira, Jean-Marc Aury, Patrick Wincker, Irina V. Kirillova, Sergey K. Vasiliev, Mariya A. Kusliy, Alexander S. Graphodatsky, Alexey A. Tishkin, Ian Barnes, Pat Druckenmiller, Christopher N. Jass, Ross D. E. MacPhee, Christina I. Barrón-Ortiz, Pam Groves, Dan Mann, Duane G. Froese, Matthew Wooller, Joshua H. Miller, Brooke Crowley, Grant Zazula, Elizabeth Hall, Susan Hewitson, Beth Shapiro, Ludovic Orlando.
Science, mai 2025

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