Publié le 3 avril 2024 Mis à jour le 3 avril 2024

Des panneaux retournés à l’entrée des communes jusqu’à un salon de l’agriculture mouvementé, la crise qui traverse le milieu agricole français – et même européen – alimente depuis plusieurs mois la presse écrite et les réseaux sociaux. Ces derniers ont fait l’objet d’un rapport de recherche de trois scientifiques de l’université Toulouse III – Paul Sabatier qui les ont étudiés sur une période de deux mois. Ils livrent un paysage médiatique et numérique porté par quelques voix dominantes au détriment d’une diversité d’opinions et de revendications plus large.

Les chercheuses et chercheurs de l’Observatoire des pratiques socio-numériques, soutenu par l’université et son Laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales (Lerass – UT3), ont collecté près de 2000 articles de 11 titres de presse quotidienne nationale, ainsi que 7000 posts Facebook et 800 posts Instagram issus de pages des syndicats agricoles et de soutien aux agriculteurs.

Ces données ont ensuite été traitées par un logiciel de textométrie, Iramuteq, qui permet de distinguer et de classer les différentes formes lexicales utilisées dans les articles et les posts. Cette méthode, propre au Lerass, a montré son intérêt pour analyser finement les discours médiatiques et numériques, comme ce fut le cas pour les Gilets jaunes ou pendant la récente contestation de la réforme des retraites

Le rapport de recherche livre plusieurs observations :
 
  • Une presse sur-focalisée sur la FNSEA et le RN
Le constat du rapport est sans appel sur ce point. La presse quotidienne nationale surreprésente le syndicat majoritaire, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). En effet, ce syndicat est présenté comme l’acteur principal du mouvement et des négociations, contribuant à marginaliser les autres syndicats. Sur les 11 titres de presse, quatre sont particulièrement vecteurs de cette construction des acteurs de la crise agricole qui fait la part belle à la FNSEA : la Tribune, le Monde, Libération et le Figaro. Symbole de cette absence de diversité, il y a autant d’occurrence du terme « FNSEA » dans les données collectées que du terme « syndicat ». Le nom du président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, apparaît 329 fois, là où Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne n’est cité que 7 fois et celui de Véronique Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale, seulement 5.

Outre cette forte présence de la FNSEA, l’extrême droite, avec le Rassemblement national (RN) est très largement représentée dans les articles de presse, et ce, de façon régulière et constante, à la différence des personnalités politiques de différents partis. Cette surreprésentation peut s’expliquer par la présence du parti sur le terrain des manifestations. Les scientifiques soulignent que ce rapprochement entre l’extrême droite et la mobilisation s’observe particulièrement dans la presse alors que les réseaux sociaux étudiés dans l’étude ne comportent pas la moindre trace de cette accointance.

Or, cette représentation médiatique de la FNSEA et du RN comme locomotives du mouvement ne correspond pas à l’examen attentif de la chronologie des événements. Si leurs agendas respectifs semblent dicter les temps forts de cette séquence sociale, ce sont pourtant les actions spontanées d’agriculteurs autoorganisés qui relancent à chaque fois le mouvement.
 
  • Divergences et convergences des revendications syndicales sur les réseaux sociaux
Les syndicats agricoles sont fortement engagés dans l'utilisation des plateformes numériques sociales, diffusant largement des informations sur leurs actions et revendications à l'échelle locale et nationale. Cette stratégie vise à rendre leurs actions visibles, à coordonner leurs efforts, et à sensibiliser à l'engagement syndical. Néanmoins, leurs messages diffèrent très nettement.

Les revendications portées par la FNSEA et les Jeunes agriculteurs (JA) sur Facebook et Instagram trouvent un écho puissant dans la presse (facilitation des démarches administratives, réduction des normes environnementales). Pourtant, il existe des revendications plus variées et plus critiques (dénonciation du système agro-industriel et du libre-échange) mais qui n’émergent que très peu dans la presse et les réseaux sociaux. Elles sont principalement portées par la Confédération paysanne, les pages a-syndicales de soutiens aux agriculteurs, mais aussi parfois par des pages ou des comptes de groupes locaux de la FNSEA ou des JA. 

Il apparaît ainsi une divergence partielle entre la ligne défendue par la direction nationale des syndicats et leurs bases à l’échelle locale, qui semblent davantage radicalisées.
 
  • Les conditions d’existence des agricultrices et des agriculteurs au second plan
Les scientifiques de l’université soulignent une trop large sous-représentation des agricultrices dans leurs données. Bien que les termes "femme" et "homme" soient en quasi égale proportion dans les articles de presse, tous médias confondus, ces derniers mentionnent plus souvent les agriculteurs que les agricultrices. Les agricultrices sont principalement renvoyées à leur condition de femme lorsque les médias parlent d’elles. De plus, il y a une proportion significative de mentions de "femmes" pour désigner les partenaires des agriculteurs masculins. En revanche, le terme "homme" est rarement utilisé pour désigner le conjoint d'une agricultrice. Cette sous-représentation est également constatée sur les réseaux sociaux.

Enfin, sur la thématique de la santé des acteurs de l’agriculture et de l’agriculture elle-même, les voix divergent. Les journaux l’abordent à travers un questionnement global sur la place de l’agriculture dans la société. La santé des agriculteurs est abordée au même titre que les maladies des élevages et les questions environnementales, le plus souvent en donnant la parole à des scientifiques. Parallèlement, une lutte thématique s’observe sur les réseaux sociaux. Pendant que la FNSEA aborde le sujet des maladies animales ou des complémentaires santé, les syndicats minoritaires ou des pages de soutiens aux agriculteurs avancent les problématiques de santé des travailleurs agricoles, notamment en faisant des liens avec les produits phytosanitaires.