Publié le 22 juillet 2025–Mis à jour le 23 juillet 2025
Entre 4 000 et 3 000 années avant notre ère, l’Egypte est passée d’un ensemble de cultures d’agriculteurs-pasteurs à un Etat unifié derrière son représentant, le pharaon. Une équipe internationale, impliquant notamment le Centre d’anthropobiologie et de génomique de Toulouse (CAGT, CNRS/UT), révèle grâce à la nécropole d’Adaïma comment l’État pharaonique s’est formé durant cette période. En combinant intelligence artificielle et anthropologie, elle a identifié des marqueurs sociaux et rituels, et montre que des phénomènes célestes, comme le lever de Sirius, ont contribué à légitimer le pouvoir royal, ancré dans des traditions locales. L’étude a été publiée dans le Journal of Archaeological Method and Theory le 9 juillet.
L’étude de la civilisation égyptienne a longtemps été celle de la civilisation pharaonique. Pourtant, cette société riche, fortement structurée et dirigée par un pharaon, symbole du roi-dieu, n’est pas apparue ex nihilo. Elle est le résultat d’une transition de communautés rurales segmentées à l’émergence progressive d’un pouvoir centralisé. C’est ce que livre la fouille de la nécropole d’Adaïma.
Située au cœur de la vallée du Nil, elle a été fouillée de 1989 à 2005 par Eric Crubézy, professeur en anthropobiologie à l’Université de Toulouse au sein du CAGT, et Béatrix Midant-Reynes, directrice de recherches émérite du CNRS. La nécropole a livré plus de 1 000 sépultures – dont 500 intactes – datées des 4e et 3e millénaires avant notre ère. « C’est en comparant cette nécropole à d’autres sites et aux plus anciens écrits religieux connus à ce jour, les Textes des pyramides que l’on comprend que des traditions locales ont progressivement été reprises », détaille Eric Crubézy. « Elles ont ensuite été amplifiées par le pouvoir central, qui en a fait le socle d’une autorité divine et unifiée. » Cette transformation, qui culmine avec l’avènement de la royauté vers 3100 av. J.-C., s’accompagne de bouleversements sociaux, symboliques et idéologiques.
Pour la première fois à cette échelle en archéologie, des analyses combinant apprentissage automatique et interprétations anthropologiques ont permis de détecter les marqueurs sociaux, biologiques et rituels associés à l’émergence de cette nouvelle organisation politique. Ameline Alcouffe, doctorante à l’Université de Toulouse au sein du CAGT, a appliqué des algorithmes de classification et d’interprétabilité à un corpus exceptionnel. « Cette approche nous permet de mieux cerner les dynamiques d'intégration sociale, d'appropriation symbolique et de hiérarchisation funéraire », explique-t-elle.
Légende - Adolescente retrouvée sur le site d’Adaïma, dont le bras droit a été sectionné à l’aide d’outils à la fois contondants et tranchants. Ce rituel de démembrement a participé à la naissance du mythe d’Osiris.
La littérature de l’Egypte ancienne indique que, pendant les rites funéraires, les corps devaient être soigneusement déposés dans leur tombe avec la tête en direction du sud ou du sud-est.
C’est une position retrouvée dans les sections les plus anciennes de la nécropole, précise la doctorante. Puis, à mesure que les premières dynasties se mettent en place, cette pratique est devenue minoritaire face à une orientation de la tête en direction du nord. Une tendance que l’on attribue justement à l’influence d’un pouvoir central jusque dans les populations rurales.
L’équipe pluridisciplinaire, mêlant à la fois des spécialistes de l’intelligence artificielle à des archéologues et des astronomes, a mis en lumière le rôle central des phénomènes célestes dans la légitimation du pouvoir. Dès la IIIe dynastie – entre 2 750 et 2 675 ans avant notre ère – la conjonction entre le lever héliaque de l’étoile Sirius, le solstice d’été et la crue du Nil devient un pivot calendaire et cosmologique.
Ces événements célestes, récurrents mais exceptionnels, sont intégrés dans une nouvelle temporalité sacrée et réinterprétés dans le cadre de mythes cosmogoniques. L’étude montre comment ces repères astronomiques transforment d’anciens rituels liés au cadavre en concepts immatériels fondamentaux pour l’idéologie royale. Le démembrement et la recomposition du corps des défunts (voir l’illustration plus haut) puiseraient leurs sources dans des rituels anciens parmi les milieux ruraux. Ils préfigurent le mythe d’Osiris – dieu démembré puis reconstitué – qui se retrouvera plus tardivement dans les Textes des pyramides, lors des premières dynasties, témoignant de l’influence croissante du pouvoir pharaonique jusque dans les communautés rurales, comme à Adaïma.
Références : From Stars to State: Astral Patterns and the Rise of Pharaonic Egypt at Adaïma (Upper Egypt)
Ameline Alcouffe, Sylvie Duchesne, Irina Tupikova, Nathalie Buchez, Patrice Gérard, Bernard Mathieu, Chahrazed Labba, Christiane Hochstrasser-Petit, Alexandre Nominé, Bertrand Ludes, Alexandre Ribéron, Anne Boyer, Beatrix Midant-Reynes, Eric Crubézy Journal of Archeological Method and Theory, juillet 2025