Publié le 8 juillet 2025 Mis à jour le 8 juillet 2025

Et si, bien avant l’apparition des premiers signes de fragilité, nos cellules portaient en elles les indices de la façon dont nous allions vieillir ? Grâce à l’analyse de cellules de peau, les fibroblastes, issues de biopsies réalisées chez les participants de la cohorte Inspire-T, des chercheuses et chercheurs de l’Inserm, de l’Université de Toulouse, du CNRS, de l’Établissement français du sang (EFS), en collaboration avec l’IHU HealthAge, ont découvert que ces cellules fourniraient des indices précieux sur l’état de santé global des individus. Leurs travaux montrent que certains marqueurs biologiques témoignant du bon fonctionnement des fibroblastes permettraient de détecter et d’anticiper des signes de fragilité ou de baisse des capacités physiques et psychiques, indépendamment de l’âge des personnes. Leurs résultats, parus dans Aging Cell, ouvrent des perspectives en médecine préventive personnalisée pour accompagner un vieillissement en meilleure santé.

Alors que le vieillissement représente un défi sociétal majeur, la recherche en santé s’est longtemps focalisée sur des marqueurs biologiques liés à l’âge chronologique, en les déconnectant souvent de l’état de santé global ou fonctionnel des individus.

Pour mieux comprendre la place du vieillissement cellulaire dans le processus global de vieillissement, les fibroblastes, se présentent comme une cible d’étude privilégiée. Présents dans l’ensemble des tissus de l’organisme, on les retrouve dans le derme cutané où ils assurent un rôle structurel essentiel en sécrétant la matrice extracellulaire – un réseau de protéines qui soutient les tissus et permet aux cellules qui y résident de réaliser leurs fonctions. Les fibroblastes sont également impliqués dans la régénération et la cicatrisation de la peau ainsi que dans son immunité. Facilement accessibles via de simples biopsies de peau, ils constituent de précieux modèles pour identifier de nouveaux marqueurs biologiques liés au vieillissement.

Une équipe de chercheuses et chercheurs, menée par Isabelle Ader, chercheuse Inserm, et Louis Casteilla, professeur à l’université de Toulouse, au sein du laboratoire Geroscience and Rejuvenation Research Center – RESTORE (Inserm/Université de Toulouse/CNRS/EFS) et en collaboration avec l’IHU Health Age, s’est ainsi intéressée à la façon dont les fibroblastes pourraient renseigner sur l’état de santé au cours du vieillissement, grâce à l’identification de marqueurs biologiques spécifiques.

Leur étude s’est appuyée sur l’analyse de fibroblastes prélevés à partir de biopsies cutanées réalisées chez 133 femmes et hommes âgés de 20 à 96 ans, présentant des profils de santé variés. Ces participants, inclus dans la cohorte française Inspire-T (voir encadré), étaient classés comme étant plus ou moins fragiles ou robustes en fonction de leur âge et de leur état de santé relatif.

Les scientifiques ont soumis ces fibroblastes à différents facteurs de stress mimant ceux rencontrés au cours de la vie (stress métaboliques, infectieux, chimiothérapie…). Ils ont ensuite évalué leur fonctionnalité globale à travers trois de leurs grandes fonctions : structurelle, immunitaire/inflammatoire et métabolique. L’objectif était d’identifier des marqueurs biologiques associés à l’état de santé général et fonctionnel des donneurs, en lien avec les différentes étapes du vieillissement.

Deux marqueurs de l’état de santé fonctionnelle ont attiré l’attention de l’équipe : les fibroblastes issus de personnes pré-fragiles ou fragiles présentaient une activité réduite de leurs mitochondries – les « centrales énergétiques » des cellules. Ces cellules sécrétaient en outre moins de périostine, une protéine de la matrice extracellulaire. La diminution de cette dernière était également observée chez les personnes présentant une faible capacité intrinsèque, un indicateur de vieillissement défavorable et de moindre état de santé général.

 « Ces deux marqueurs biologiques, liés à la fonctionnalité métabolique et structurelle des fibroblastes et indépendants de l’âge chronologique ou du sexe, apparaissent comme des indicateurs de la fragilité cellulaire d’un individu, et ce, même lorsque les fibroblastes sont cultivés en laboratoire après biopsie, indique Isabelle Ader. En cela, ils reflètent ce que l’on pourrait qualifier d’une “mémoire de santé” au niveau cellulaire et présentent un potentiel intéressant pour la détection précoce de la fragilité et de la mauvaise santé avant tout signe clinique », ajoute la chercheuse.

La périostine apparaît en outre pour la première fois comme un marqueur biologique clé associé à la capacité intrinsèque telle que définie par l’OMS, et donc comme un potentiel indicateur de la santé fonctionnelle des individus.

Ces résultats mettent en lumière les signaux fiables que les cellules de notre corps pourraient fournir sur l’état de santé global d’un individu.

« Nos travaux ouvrent des perspectives adoconcrètes dans la détection précoce des signes de fragilité ou de baisse des capacités physiques et cognitives en médecine préventive », complète Isabelle Ader. « Identifier précocement les altérations de la santé cellulaire pourrait permettre de développer des stratégies ciblées de médecine personnalisée pour mieux préserver la santé fonctionnelle et prolonger l’autonomie tout au long de la vie », conclut la chercheuse.


Ces travaux font l’objet d’un brevet déposé auprès d’Inserm Transfert en 2024.
 
Références :
Identification of Functional Cellular Markers Related to Human Health, Frailty and Chronological Age
Chloé Brodeau, Camille Joly, Anaïs Chekroun, Jean Nakhle, Vincent Blase, Nicolas Espagnolle, Cédric Dray, Armelle Yart, Valérie Planat, Margot Tertrais, Julien Fassy, Sophie Guyonnet, Wan-Hsuan Lu, Philipe de Souto Barreto, Olivier Teste, Marie Tremblay-Franco, Kamaryn T. Tanner, Alan A. Cohen, Audrey Carriere, Louis Casteilla, Isabelle Ader
Aging Cell, juillet 2025

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À propos de la cohorte Inspire-T
Inspire-T est une étude longitudinale française dédiée au vieillissement en bonne santé, impliquant plus de 1 000 participants âgés de 20 à plus de 100 ans. Pilotée par l’IHU Health Age, elle vise à identifier les facteurs biologiques, cliniques et environnementaux influençant les trajectoires de santé au cours du temps. Les participants sont suivis régulièrement pour évaluer l’évolution de cinq grandes fonctions – cognitives, locomotrices, sensorielles, psychosociales et de vitalité – dont l’ensemble constitue le score de capacité intrinsèque.

L’IHU Health Age est porté par l’Inserm, le CHU et l’université de Toulouse au sein du Gérontopôle de Toulouse.