L’eczéma du nourrisson pourrait trouver son origine avant la naissance. En cause : un dérèglement du système immunitaire provoqué par une élévation du taux de cortisol, l’hormone du stress, pendant la grossesse, selon une étude menée in vivo chez la souris, et publiée dans la revue Nature le 27 août 2025. Ces résultats, obtenus par une équipe de recherche coordonnée par l’Inserm, le CNRS et l’Université de Toulouse, suggèrent qu’il est nécessaire de poursuivre les recherches qui explorent comment l’expérience des femmes enceintes affecte la santé des enfants.
Des démangeaisons intenses et des rougeurs sur le visage, le cou ou le ventre… L’eczéma, ou dermatite atopique (DA), peut affecter sérieusement la qualité de vie et le sommeil du bébé. Ces symptômes apparaissent souvent dans des zones humides soumises à des frottements constants telles que les plis des coudes et des genoux, ou encore à l’intérieur des couches-culottes, mais les causes profondes de la maladie restent encore mal connues.
Une nouvelle étude coordonnée par l’équipe de Nicolas Gaudenzio au sein de l’Institut Toulousain des Maladies Infectieuses et Inflammatoires (Infinity, CNRS/Inserm/UT), publiée le 27 août 2025 dans la revue Nature ouvre la voie à une meilleure compréhension de l’origine de ces symptômes. Ces derniers pourraient être causés par une élévation du taux de cortisol, l’hormone du stress, pendant le deuxième trimestre de grossesse, qui dérègle le système immunitaire fœtal et entraîne une hypersensibilité de la peau, dès la naissance.
Les auteurs ont d’abord confirmé le constat de plusieurs études : lorsqu’une mère subit un stress important pendant la grossesse, son bébé risque davantage de développer cette maladie, ce qui restait jusqu’alors inexpliqué, le lien de cause à effet n’ayant pas été démontré.
Des souris gestantes ont ainsi été exposées à des lumières désagréables pour ces animaux nocturnes, plusieurs fois par jour, entre le 13e et le 18e jour de leur grossesse, au moment où les systèmes immunitaire et nerveux se mettent en place au sein de la peau. Ce stress s’est immédiatement traduit par une élévation de leur taux de cortisol, comme les chercheurs ont pu l’observer grâce à des prélèvements de sang et de liquide amniotique.
Après la naissance, « à première vue, aucun signe anormal n’était visible chez la descendance, hormis une légère altération de la barrière cutanée : une perte accrue d’eau transépidermique – c’est-à-dire une évaporation de l’eau à travers la peau plus importante que d’habitude. Or, cette condition est connue pour favoriser l’apparition de l’eczéma, surtout chez les enfants », explique Nicolas Gaudenzio, chercheur Inserm et dernier auteur de l’étude.
Pour reproduire les sensations d’un bébé dans sa couche, les chercheurs ont appliqué des compresses humides sur le dos des souris. Certaines zones sensibles, telles que le cou, les plis du coude et des genoux ont ensuite été délicatement frottées à l’aide d’un ruban adhésif. Résultat : la descendance des souris stressées pendant leur grossesse a développé des éruptions cutanées et une hypersensibilité, signe de lésions eczémateuses profondes, alors que l’épiderme des souris témoins est resté intacte et lisse.
Pour mieux comprendre la cause de ces lésions, les chercheurs sont ensuite allés voir au plus près des mécanismes inflammatoires et des voies nerveuses sensorielles stimulées lors d’une poussée d’eczéma. Une première analyse par séquençage de l’ARN des fibres nerveuses qui innervent la peau a alors permis d’observer que les neurones qui perçoivent la sensation de toucher, étaient davantage activés chez la descendance des souris stressées. Ces neurones sont à l’interface entre le système nerveux central et le reste de l’organisme, dans les ganglions de la racine dorsale de la moelle épinière. Des études comportementales complémentaires ont pu mettre en évidence qu’en effet, les souriceaux issus de mères stressées avaient une sensibilité au toucher exacerbée. « Cela démontre une hypersensibilité nerveuse au niveau la peau, car ce sont ces neurones spécialisés qui transmettent la sensation du toucher sous la forme de signaux électriques au niveau du cerveau », complète Nadine Serhan, première autrice de l’étude.
Puis, les chercheurs ont observé que l’expression de nombreux gènes des mastocytes (530 au total) avait été modifiée, signe d’un profond changement dans leur fonctionnement. « En temps normal, ces cellules immunitaires libèrent de l’histamine, la substance à l’origine des rougeurs et des démangeaisons, en présence d’un agent allergène ou irritant. Mais ici, les mastocytes sont déjà activés au repos, dans un environnement neutre, ce qui veut dire que la peau est prédisposée à développer l’inflammation », explique Nicolas Gaudenzio. Cette découverte a été rendue possible grâce au séquençage de l’ARN à l’échelle d’une cellule unique, une approche qui consiste à isoler chaque cellule afin d’en extraire son contenu génétique et de déterminer les gènes qu’elle exprime. Ces gènes sont identifiés à partir de l’ARN, transcrit depuis l’ADN, qui renseigne sur leur fonction.
L’analyse de prélèvements sanguins de 58 femmes enceintes en collaboration avec des chercheurs et cliniciens de Singapour va dans le sens de l’hypothèse de l’équipe de recherche : des taux de cortisol élevés ont également été observés au cours du deuxième trimestre de la grossesse (qui correspond au moment où les systèmes immunitaires et nerveux se développent dans la peau chez l’humain), chez les mères souffrant d’eczéma.
« C’est la première fois qu’il y a une démonstration claire que l’eczéma du nourrisson pourrait avoir des causes antérieures à la naissance du bébé », souligne Nicolas Gaudenzio. Les chercheurs souhaitent désormais poursuivre les études sur les systèmes immunitaires et nerveux in utero, en particulier au cours du deuxième trimestre de grossesse. « Ces résultats soulignent l’importance d’étudier comment l’expérience des femmes enceintes affecte la santé des enfants », conclut le chercheur.
Références : Maternal Stress Triggers Early-Life Eczema via Fetal Mast Cell Reprogramming
Nadine Serhan, Nasser S. Abdullah1 Nadine Gheziel, Alexia Loste, Rüçhan Ekren, Elodie Labit, Anne-Alicia Gonzalez, Giulia Oliva, Pauline Tarot, Camille Petitfils, Gaëlle Payros, Paolo D’Avino, Allison Voisin, Holly Freya Grace Tinsley, Rebecca Gentek, Carole Brosseau, Marie Bodinier, Laurent Reber, Pierre Val, Cezmi A. Akdis, Yasutaka Mitamura, Anand Kumar Andiappan, Jerry Kok Yen Chan, Florent Ginhoux, Amaury François, Nicolas Cénac, Lilian Basso, Nicolas Gaudenzio Nature, août 2025