Publié le 30 novembre 2020 Mis à jour le 30 novembre 2020
Très utilisée dans le domaine des neurosciences, la mouche du vinaigre (Drosophila melanogaster), est un modèle d’étude capable de modifier son comportement après un apprentissage simple. Pour la première fois, une équipe de scientifiques du Centre de recherches sur la cognition animale (CRCA/CBI – CNRS / UT3 Paul Sabatier) vient de démontrer expérimentalement que les drosophiles sont également capables de résoudre une tâche d’apprentissage complexe. Cette étude a été récemment publiée dans la revue scientifique Proceedings B.

La drosophile, que l’on retrouve parfois sur nos fruits en décomposition avancée, est dotée d’un cerveau de 100 000 neurones soit 1 million de fois moins que l’humain. Elle est devenue un modèle très étudié du fait d’un développement d’outils génétiques efficaces et uniques à cet animal, qui permettent aux scientifiques de dévoiler le fonctionnement de processus biologiques difficiles à saisir. Derrière son apparence rudimentaire, la drosophile est capable de modifier son comportement après un apprentissage simple. Elle peut, par exemple, éviter une odeur A initialement neutre lorsqu’elle est associée à une punition telle que des chocs électriques.
La drosophile a ainsi servi de modèle pour étudier et comprendre, de manière approfondie, sa façon d’apprendre et de mémoriser ce type d’association simple. Cependant, l’environnement dans lequel évolue cet insecte est infiniment plus complexe et une odeur A peut être associée à des variables différentes voire opposées, en fonction du contexte dans lequel elle est rencontrée.

La drosophile est-elle capable de gérer ce type d’apprentissage plus complexe ? Pour répondre à cette question, les scientifiques du CRCA ont confronté ces petits insectes à la résolution d’une tâche d’apprentissage complexe appelée « patterning » négatif. Deux stimuli olfactifs A puis B sont associés tous deux à une punition (+) seulement lorsqu’ils sont présentés séparément (A+ et B+) mais jamais quand ils sont présentés conjointement (AB). Lorsque la mouche est confrontée une fois à cette tâche, elle a tendance à se représenter AB comme la somme de deux odeurs précédemment punies. En revanche, confrontée plusieurs fois à cette tâche, la représentation par la mouche de AB évolue et devient différente de la somme de A+B. Ceci est une tâche de psychologie cognitive difficile à traiter car A comme B peuvent être à la fois aversifs et non aversifs en fonction de leur contexte, si bien que pour résoudre cette tâche, l’animal doit apprendre que la somme de A et B donne une configuration spécifique AB qui n’est pas aversive.

La mouche est soumise à un problème où deux odeurs, A et B, sont séquentiellement associées à des chocs électriques à la suite de quoi ces mêmes odeurs sont représentées ensemble (AB) sans choc électrique.
Lorsque la mouche est confrontée une fois à cette tâche, elle a tendance à se représenter AB comme la somme de deux odeurs précédemment punies. En revanche, confrontée plusieurs fois à cette tâche, la mouche a tendance à se représenter AB comme différent de A et B seules.
© CRCA

Dans ce travail, les auteurs montrent expérimentalement que les drosophiles sont capables de résoudre cette tâche complexe par l’apprentissage. La représentation de A et B vis-à-vis de leur mélange AB est alors modulée par cet apprentissage au niveau de leur cerveau.

Cette découverte ouvre la perspective d’une dissection fine des réseaux neuronaux du cerveau qui permettent aux animaux d’adapter leur représentation du monde en fonction des expériences vécues.

Référence : Matthias Durrieu, Antoine Wystrach, Patrick Arrufat, Martin Giurfa and Guillaume Isabel, Fruit flies can learn non-elemental olfactory discriminations, Proc. R. Soc. B 287: 20201234.
http://dx.doi.org/10.1098/rspb.2020.1234