Publié le 31 mars 2020 Mis à jour le 31 mars 2020

Depuis 4 ans, une équipe internationale composée notamment de chercheurs et chercheuses françaises de la Station d’écologie théorique et expérimentale de Moulis en Ariège, s’intéresse aux effets des changements climatiques et de l’anthropisation sur une espèce endémique des Pyrénées : le lézard de Bonnal (Iberolacerta bonnali). Inscrit sur la liste rouge mondiale IUCN des espèces menacées, le lézard de Bonnal doit aujourd’hui faire face à une nouvelle menace : le lézard des murailles (Podarcis muralis). Ces travaux menés dans le cadre du projet européen ECTOPYR [1] et récemment publiés dans la revue Journal of Experimental Biology,montrent que le lézard des murailles devrait poursuivre sa colonisation et concurrencer le lézard de Bonnal sur l’ensemble de son aire de répartition d’ici 30 à 50 ans.

Le lézard de Bonnal est une espèce rupicole endémique de l’étage alpin des Pyrénées centrales (France, Espagne et Andorre) très majoritairement présent entre 2000 et 3000 m d’altitude. Ces lézards ont une aire de répartition fragmentée sous la forme d’une constellation de petites populations peu ou pas connexes possédant une structuration génétique forte, en grande partie héritée des glaciations passées. Dans l’actuel contexte d’anthropisation croissante des milieux montagnards et de réchauffement climatique, les espèces de la ceinture alpine des Pyrénées apparaissent toutes très vulnérables. C’est principalement pour cette raison que les lézards des Pyrénées figurent dans la liste rouge des espèces menacées établie par l’UICN et bénéficient d’un plan national d’action porté par Nature en Occitanie pour les espèces menacées en France.

Mais ce n’est malheureusement pas la seule menace qui pèse sur le lézard de Bonnal qui se trouve aujourd’hui concurrencé, parfois directement, par une espèce opportuniste venue des vallées : le lézard des murailles. La compétition entre les deux espèces pour la nourriture, les territoires, ou encore les sites de pontes mais aussi la transmission de parasites et maladies affecteraient potentiellement les populations de lézards de Bonnal.

Lézard des murailles
Lézard des murailles

Lézard des murailles © Jérémie Souchet

Jusqu’où le lézard de murailles pourra-t-il coloniser le territoire du lézard de Bonnal ?

Pour connaitre la capacité d’adaptation aux conditions d’altitude du lézard des murailles et observer les effets de l’hypoxie, c’est-à-dire du manque d’oxygène, sur ces populations, les scientifiques ont déplacé des individus à 2877 mètres (-30% d’oxygène). Bien que les observations aient montré une augmentation rapide de l’hématocrite et du taux d’hémoglobine, les adultes transplantés à haute altitude souffrent de performances de course et d’une condition corporelle plus faibles que leurs congénères gardés à l’altitude d’origine.

Cependant, la même expérience, menée avec des embryons, a démontré leur capacité d’assurer croissance et développement jusqu’à l’éclosion dans des conditions d’hypoxie d’altitude. Cette dernière affecte néanmoins la physiologie de l’embryon, entraînant une augmentation du métabolisme, une hypertrophie cardiaque, une hyperventilation et une taille corporelle réduite chez le nouveau-né. Néanmoins, le succès à l’éclosion reste non affecté par l’hypoxie d’altitude.

Ces résultats suggèrent que le lézard des murailles devrait donc poursuivre sa colonisation et vraisemblablement concurrencer les lézards des Pyrénées, si ces derniers n’ont pas disparu avant à cause du réchauffement climatique, sur l’ensemble de son aire de répartition d’ici quelques décennies. Néanmoins, cette dynamique de colonisation dépendra aussi des coûts au long terme associés à la disponibilité réduite d’oxygène sur les adultes (tels que les dommages causés par l’augmentation de la production de radicaux libres) et les conséquences d’une baisse des performances sur la survie (épuisement métabolique, susceptibilité accrue à la prédation).

Les scientifiques du projet ECTOPYR se sont réunis le 24 mars pour valider et partager les conclusions de 4 années de travaux et envisager la suite.

En effet, un nouveau projet européen ADAPYR va permettre de réaliser des mesures comparables chez Iberolacerta afin de bien comprendre les relations existantes entre température du milieu, niveaux d’oxygène de l’air, preferendum thermique et métabolisme afin d’estimer un scenario d’interaction possible entre les deux espèces. On peut, par exemple, imaginer que Iberolacerta soit localement adapté à la vie en haute montagne, et que leurs performances métaboliques en hypoxie surpassent celles de Podarcis. A l’inverse l’augmentation des températures moyennes pourraient favoriser Podarcis, espèce plus thermophile qu’Iberolacerta.

Voir en ligne sur le site de la Délégation régionale Occitanie Ouest du CNRS.