Publié le 4 octobre 2021 Mis à jour le 4 octobre 2021
La mixotrophie, l'utilisation directe par les organismes photosynthétiques du carbone organique présent dans le milieu, est un phénomène répandu chez de nombreux microorganismes aquatiques et certaines plantes terrestres. Bien que présentant des caractéristiques favorables, les plantes aquatiques, à l'exception des espèces carnivores, n'ont jamais fait l'objet d'une étude approfondie de leur aptitude à la mixotrophie. Des chercheurs du Laboratoire d’écologie fonctionnelle et environnement (CNRS / Toulouse INP / UT3 Paul Sabatier), du Laboratoire de recherche en sciences végétales (LRSV – CNRS / UT3 Paul Sabatier) et de l’Institut de systématique et évolution de la biodiversité du Muséum d’histoire naturelle de Paris considèrent, à la lumière de résultats concordants issus de différents domaines de recherche, que la mixotrophie pourrait être une caractéristique répandue chez les plantes aquatiques. Cet article d’opinion est paru fin septembre 2021 dans la revue Trends In Plant Science.

Les plantes aquatiques jouent un rôle clé dans le fonctionnement des écosystèmes aquatiques : abris pour diverses espèces de microorganismes, d’invertébrés et de poissons, elles sont également l'un des principaux producteurs primaires et une source d’oxygène des milieux aquatiques ; sans oublier les modifications des paramètres physiques : régulation de la vitesse du courant, atténuation du réchauffement de l’eau... Dans ces mêmes milieux, le carbone (sous formes inorganiques et organiques) est un pivot dans les processus biogéochimiques. Les écosystèmes aquatiques contiennent du carbone organique dissous provenant de résidus animaux ou végétaux, dont la teneur peut être élevée et la composition variée (acides humiques, polyols, sucres, etc.).

On prend de plus en plus conscience que la mixotrophie, l'utilisation directe du carbone organique par les organismes photosynthétiques, est un phénomène répandu chez de nombreux microorganismes aquatiques et certaines plantes terrestres (Selosse et al., 2017). Dans le cas des plantes aquatiques, la mixotrophie assurerait un complément aux ressources carbonées issues de la photosynthèse. Il s’agit d’une perspective jusqu’alors négligée par la recherche, et qui pourrait être beaucoup plus répandue qu'on ne l’imagine en considérant les plantes comme des autotrophes stricts, c’est-à-dire synthétisant leur propre matière organique exclusivement à partir d’éléments inorganiques prélevés dans le milieu. C’est l’hypothèse forte portée dans cet article qui, pour la première fois, fait le point sur ce thème sous l’angle écologique.

Pourtant, les caractéristiques biologiques des plantes aquatiques auraient pu laisser augurer le contraire depuis longtemps : peu d’assises protectrices à la surface des feuilles et des tiges, favorisant les échanges de solutés avec la colonne d’eau ; immersion souvent totale de la plante et feuillage très découpé, augmentant la surface d’échange avec le milieu ; limitation de la photosynthèse du fait d’une insuffisance de la lumière lorsque la profondeur et la turbidité de l’eau augmentent.

L’hypothèse de mixotrophie est aussi soutenue par de nombreux résultats expérimentaux concrets issus de recherches menées depuis soixante ans (Hillman et al. (1961), Frick (1994), Nuttens and Gross (2017)), mais qui n’ont jamais encore été mis en relation. Il apparaît ainsi que certaines plantes aquatiques poussent bien mieux en présence de sucres, molécules pouvant être consommées dans le cadre d’un métabolisme mixotrophe, ce qui est notamment le cas chez Lemna sp, Ceratophylum demersum, Myriophyllum spicatum, trois plantes très répandues dans les cours d’eau français. Les plantes aquatiques ayant des exigences écologiques et des origines phylogénétiques variées, il est de même essentiel de comprendre si, et comment, la mixotrophie est apparue au sein des différentes lignées, et si elle module la structure et le fonctionnement des communautés végétales aquatiques.

A l’échelle cellulaire, trois processus biologiques pourraient être impliqués dans la mixotrophie et sont avancés par les chercheurs : les associations biotrophes (symbioses avec des microorganismes), la capture de proies et l'absorbotrophie (absorption directe de carbone organique dissous). Ce dernier processus, jusque là peu étudié, pourrait jouer un rôle essentiel étant données les caractéristiques physiologiques et morpho-anatomiques des plantes aquatiques. Des recherches supplémentaires, tant au niveau de l'organisme que de la cellule, sont nécessaires pour clarifier les processus impliqués et leur importance.

Cet article forge donc le socle essentiel pour les futures recherches visant à mieux comprendre la mixotrophie et ses conséquences pour la nutrition des plantes aquatiques et pour le fonctionnement des écosystèmes dans lesquels elles se développent. En ce sens, des études sont à venir sur le développement de ces plantes et leur métabolisme en fonction de la concentration et de la nature du carbone organique dissous.
 
Cours d’eau peuplé de renoncules flottantes (Ranunculus fluitans) en floraison.
On note la répartition en patchs d’herbiers, suivant le courant et modulant celui-ci. La densité est suffisante pour influencer localement les conditions physicochimiques et biologiques du milieu. (Rivière Ariège, France, juin 2019) © A. Firmin.
 
 


Myriophylle en épis (Myriophyllum spicatum) en culture stérile au laboratoire.
Cette espèce présente une tige principale pouvant se ramifier, et dotée de nombreux verticilles : des nœuds d’où partent 4 feuilles très découpées. A la base de la tige, des racines blanches recherchent un substrat afin d’ancrer le fragment. L’ensemble de l’organisme est entièrement adapté au développement aquatique, avec une surface d’échange multipliée favorisant l’absorption des substances en solution. © A. Firmin.




Lentilles d'eau (Lemna minor) s’étant développées à l'obscurité complète pendant près de 9 semaines dans un milieu enrichi en sucres.
La photo de gauche montre des individus au début de l’expérience, à droite après 60 jours de culture. La présence de sucres dissous a permis la survie et la croissance de la plante, sans photosynthèse (dépigmentation très marquée due à l’absence de chlorophylles et autres pigments photosynthétiques). © A. Firmin.


Bibliographie :
Firmin, A., Selosse, M.A., Dunand, C. & Elger, A. (2021) Mixotrophy in aquatic plants, an overlooked ability. Trends in Plant Sciences
https://doi.org/10.1016/j.tplants.2021.08.011

Références citées dans le texte :
Selosse, M.A. et al. (2017) Mixotrophy everywhere on land and in water : The grand écart hypothesis. Ecol. Lett. 20, 246–263
Hillman, W.S. et al. (1961) Experimental control of flowering in Lemna. III. A relationship between medium composition and the opposite photoperiodic responses of L. perpusilla 6746 and L. gibba G3. Am. J. Bot. 48, 413–419
Frick, H. (1994) Heterotrophy in the Lemnaceae. J. Plant Physiol. 144, 189–193
Nuttens, A. and Gross, E.M. (2017) Sucrose modifies growth and physiology in axenically grown Myriophyllum spicatum with potential effects on the response to pollutants. Environ. Toxicol. Chem. 36, 969–975