Publié le 15 janvier 2021 Mis à jour le 15 janvier 2021
Dans un article paru le 11 janvier 2021 dans la revue Current Biology, des scientifiques du tout nouveau Centre d’anthropobiologie et de génomique de Toulouse (CAGT - CNRS/UT3 Paul Sabatier) présentent les génomes complets de 24 individus humains ayant vécu dans le bassin parisien et aux alentours de Narbonne voilà 3 700 à 5 400 ans. Cette étude dévoile pour la première fois les contours génétiques de populations jusque là encore méconnues, et qui recoupaient la fin du Néolithique, le phénomène Campaniforme et l’Âge du Bronze. La composition des génomes anciens apporte un éclairage tout à fait nouveau sur la dynamique des peuplements anciens du territoire actuel de la France.


L’époque retenue dans cette étude n’a pas été laissée au hasard. Elle accompagne la fin du phénomène néolithique au cours duquel les descendants des fermiers néolithiques originaires d’Anatolie ont définitivement supplanté leurs prédécesseurs chasseurs-cueilleurs. De plus, elle recoupe l’arrivée en Europe occidentale des descendants de peuples nomades venus des steppes. Alors que les subtilités de ces deux transitions majeures de la préhistoire ont été largement documentées sur le plan génétique ailleurs en Europe, elles nous échappaient encore entièrement pour le territoire français.

L’étude dirigée par Andaine Seguin-Orlando, maîtresse de conférences à l’université Toulouse III – Paul Sabatier, et contenant 24 génomes anciens, vient combler cette lacune et confirmer des phénomènes alors en cours à l’échelle plus large de l’Europe, mais pas seulement. La découverte de traces génétiques de populations de chasseurs-cueilleurs dans le Nord de la France, à un moment où aucun indice de culture matérielle ne venait les trahir dans le registre archéologique, a été une vraie surprise.

Il apparaît aujourd’hui que les communautés néolithiques vivant il y a plus de 5 000 ans autour du Mont-Aimé (Marne) englobaient une mosaïque d’individus sur le plan génétique. Pour la majorité, le génome ressemblait à celui décrit ailleurs en Europe, comme en Irlande et en Allemagne à cette même époque. Fruit d’un métissage, il consistait pour l’essentiel en une fraction héritée d’ancêtres originaires d’Anatolie, et pour le reste, en une fraction issue des populations de chasseurs-cueilleurs qui occupaient le territoire de la France avant eux. Mais pour d’autres individus, et en particulier un père et sa fille inhumés au sein de ces mêmes sépultures, la fraction issue des populations ancestrales de chasseurs-cueilleurs prédominait. Ainsi, le métissage avait eu lieu plus récemment dans leur généalogie, à peine quelques siècles auparavant. Tout se passe comme si génétiquement, les populations de chasseurs-cueilleurs participant au métissage existaient encore il y a 5 800 ans. Pour expliquer la présence génétique de populations invisibles par ailleurs culturellement, les auteurs proposent que les chasseurs-cueilleurs locaux avaient à l’époque déjà changé leur mode de vie traditionnel pour celui caractéristique du Néolithique. En résumé, un phénomène d’acculturation aurait accompagné la disparition progressive des chasseurs-cueilleurs en Europe de l’ouest, et particulièrement en France.

L’autre apport majeur de ces travaux est la découverte de la présence de la composante génétique caractéristique des steppes dans les génomes d’individus narbonnais ayant vécu il y a 4 400 ans, fruit d’un autre métissage ayant eu lieu trois siècles plus tôt. Et ainsi de changer une nouvelle fois le visage génétique de la France à cette époque. Le phénomène alors en cours se poursuivrait en quelques siècles à peine dans la péninsule ibérique et au sein des îles britanniques.

Cette étude est le fruit d’un travail interdisciplinaire, regroupant archéologie de terrain, anthropologie physique et archéogénétique. Elle a bénéficié de l’infrastructure dernier cri du laboratoire CAGT ainsi que du soutien financier de l’Union Européenne (ERC PEGASUS et programmes IF Marie Skłodowska-Curie NEO et ELITE), de l’Agence nationale pour la recherche (LifeChange et Investissements d’Avenir ANR-17-EURE-0010), de la fondation L’Oréal-UNESCO pour les femmes et la science (programme Jeune Talent France 2019), de la Fondation Villum (projet miGENEPI), du CNRS dans le cadre de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires « Défi Écologie de la santé 2020 », de la Fondation Simone & Cino Del Duca (Subventions scientifiques 2020, HealthTimeTravel) et d’une collaboration avec le Centre national de recherche en génomique humaine de l’Institut de biologie François Jacob du CEA.
 
Dans les collections du Palais-Musée des Archevêques de Narbonne, Ludovic Orlando réalise un prélèvement sur un individu néolithique dont le génome a été séquencé pour cette étude. © Andaine Seguin-Orlando
 
Imagerie 3D du crâne d’un individu néolithique dont le génome a été séquence cette étude. © Clio Der Sarkissian

Référence : Andaine Seguin-Orlando, Richard Donat, Clio Der Sarkissian, John Southon, Catherine Thèves, Claire Manen, Yaramila Tchérémissinoff, Eric Crubézy, Beth Shapiro, Jean-François Deleuze, Love Dalén, Jean Guilaine, and Ludovic Orlando, Heterogeneous Hunter-Gatherer and Steppe-Related Ancestries in Late Neolithic and Bell Beaker Genomes from Present-Day France, Current Biology 31, 1–12
https://doi.org/10.1016/j.cub.2020.12.015