Publié le 5 septembre 2022 Mis à jour le 9 septembre 2022

Le dicton populaire dit que la patience est la vertu des ânes. Patient, peut-être, mais visiblement rapide puisque ce dernier se serait propagé comme une traînée de poudre depuis l’Afrique jusqu’en Asie et en Europe, il y a 4 500 ans de cela. Et ce, en à peine quelques siècles. C’est ce que révèle une étude parue dans Science, et faisant sa couverture, menée par des scientifiques du Centre d’Anthropobiologie et de Génomique de Toulouse (CAGT, UT3/CNRS). De quoi apporter un regard nouveau sur cette espèce qui a joué un important rôle dans le développement des sociétés humaines et de leurs cultures.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’origine et le moment précis de la première domestication des ânes restaient, pour la science, comme un mystère particulièrement difficile à percer. Les différentes sources, aussi bien textuelles qu’archéologiques, ne s’accordaient pas sur le lieu qui variait entre le nord-est de l’Afrique, la péninsule arabique et la Mésopotamie. « Nous avons alors décidé de séquencer le génome d’ânes vivant dans des régions jusque-là trop peu étudiées », explique Ludovic Orlando, directeur de recherche au CAGT qui a dirigé l’ensemble de l’étude. « Une approche qui devait nous dévoiler d’importantes pièces manquantes du puzzle », mais qui ne pouvait se suffire à elle seule : la cartographie génétique des ânes vivant aujourd’hui ne traduit pas tout à fait les origines lointaines de l’animal, mais en partie les échanges commerciaux entre pays parfois très éloignés.

Les chercheurs, aussi aidés par des technologies de pointe, ont analysé de l’ADN prélevé sur des vestiges de montures vieilles de plusieurs millénaires. C’est alors par contraste que les différences sont apparues. « Les ânes contemporains vivant en Afrique, en Europe ou en Asie présentent d’évidentes distinctions génétiques », précise Evelyn Todd, post-doctorante dans la même unité et première autrice de l’étude. Les différentes lignées génétiques correspondent à plusieurs séparations des populations d’ânes à travers le temps.

Les premières traces africaines du mammifère remontent à 7 000 ans avant notre époque, soit une époque où le Sahara troquait sa verdure pour l’aridité qu’on lui connaît. Il y 4 500 ans, il quittait alors le continent pour se disséminer en Asie et en Europe en moins d’un millénaire. Mais sa progression n’était pas à sens unique, puisque des preuves indiquent qu’il est retourné en Afrique, notamment en Afrique de l’Ouest, avec, par exemple, son commerce à travers la mer Méditerranée durant l’époque romaine.

Si la traque de la dispersion des ânes a été permise grâce à l’analyse du jeu de génomes anciens et modernes de l’espèce le plus fourni à ce jour, ils ont aussi contribué à identifier des lignées encore inconnues. C’est le cas avec un âne qui vivait dans le Levant, il y a deux millénaires, mais qui a sûrement occupé une région beaucoup plus vaste puisque sa trace se retrouve chez les ânes modernes d’Europe de l’est, ainsi que d’Asie centrale et orientale. En outre, les scientifiques révèlent que les ânes sauvages ont également contribué à enrichir le patrimoine génique de leurs congénères domestiques en différents points du globe. Pour Evelyn Todd, « cela est sûrement dû à la gestion en liberté des populations locales d’ânes dans certaines régions d’Afrique et de la péninsule arabique ».

Autre révélation de l’étude : il existe des différences fondamentales dans les méthodes qui ont conduit à la domestication des ânes et de leurs proches parents, les chevaux. Contrairement à ces derniers, la consanguinité chez les ânes n'a pas particulièrement augmenté à l'époque moderne, ce qui suggère des stratégies de reproduction similaires aujourd'hui et dans le passé.

En remontant la généalogie génétique des ânes, les chercheurs ont également découvert un centre de reproduction de mules dans un site romain au nord de la France, à Boinville-en-Woëvre, datant du troisième au cinquième siècle de notre ère. Selon toute vraisemblance, les éleveurs romains y ont réussi à produire des ânes de taille exceptionnelle qu’ils ont par la suite accouplés à des juments pour donner naissance à des mules.

A l’époque, ces animaux, bien que stériles, sont appréciés pour leurs grandes capacités physiques et sont utilisés de manière massive par l’armée et les marchands. Les preuves génétiques font écho aux textes des écrivains romains qui décrivent que l'élevage sélectif d'animaux de stature exceptionnelle était déjà une pratique courante et à la base d’un commerce lucratif. « C’est là toute la beauté de l’ADN ancien qui délivre des données nous permettant de tester des hypothèses provenant d’autres sources historiques », conclut Ludovic Orlando.


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Le Centre d’Anthropobiologie et de Génomique de Toulouse est une unité de recherche interdisciplinaire située au cœur de Toulouse, dans la faculté de Médecine de Purpan. Le CAGT rassemble des experts en anthropobiologie, archéologie, biologie évolutive et génomique. Le thème général est l’étude de notre passé évolutif pris dans sa globalité.
 
 
Cette étude a reçu le soutien de l'infrastructure de France Génomique (ANR-10-INBS-09), en particulier par ses plateformes de séquençage GeT-PlaGe et Genoscope. Elle a bénéficié du financement du Projet International de Recherches AnimalFarm (CNRS IRP), de l'Agence Nationale de la Recherche, de France Génomique (Appel à grands projets BUCEPHALE et MARENGO), et de l'Union Européenne, notamment du Conseil Européen pour la Recherche (ERC AncestralWeave, CodeX, PALAEOFARM et PEGASUS).